► Le CE peut se prévaloir d’une irrégularité commise lors de la consultation du CHSCT (Cour de cassation) - Par Sandra Laporte - Liaisons Sociales Quotidien
PARIS, 16 juillet 2012 - Le comité d’entreprise est recevable à invoquer, dans le cadre de sa propre consultation, l’irrégularité de la procédure de consultation préalable du CHSCT, précise la Cour de cassation dans un arrêt (1) du 4 juillet.
La loi rend obligatoire la consultation du comité d’entreprise avant tout projet intéressant les conditions de travail (C. trav., art. L. 2323-27). Il s’agit d’une hypothèse de compétence partagée avec le CHSCT qui doit, pour sa part et selon une formule bien connue des employeurs, être consulté « avant toute décision d’aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail » (C. trav., art. L. 4612-8). Comment doivent alors s’articuler les procédures consultatives ? Doivent-elles rester strictement indépendantes l’une de l’autre ?
Dans l'arrêt du 4 juillet, la Cour de cassation explique précisément comment les combiner : la consultation du CHSCT doit précéder celle du CE, de façon à ce que dernier dispose de l’avis du CHSCT au moment où le projet lui est présenté.
Poursuivant dans cette logique d’interdépendance, la Haute juridiction ajoute que le comité d’entreprise peut parfaitement se prévaloir en justice de l’irrégularité de la consultation du CHSCT, cette irrégularité rejaillissant sur la validité de sa propre consultation.
Compétence partagée
En vertu de l’article L. 2323-27 du Code du travail, le comité d’entreprise est informé et consulté sur les problèmes généraux intéressant les conditions de travail résultant de l’organisation du travail, de la technologie, des conditions d’emploi, de l’organisation du temps de travail, des qualifications et des modes de rémunération. À cet effet, précise le texte, le comité étudie les incidences sur les conditions de travail des projets et décisions de l’employeur dans ces domaines et formule des propositions.
Enfin, le CE « bénéficie du concours du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail dans les matières relevant de sa compétence. Les avis de ce comité lui sont transmis ». Il est regrettable que cette disposition du Code du travail n’envisage pas les modalités pratiques de réalisation de ce « concours » entre comité d’entreprise et CHSCT et ne définisse pas la nature de l’éventuel lien juridique existant entre les consultations.
Demande de suspension formée par le comité d’entreprise
En l’espèce, la direction avait en premier lieu soumis son projet de réorganisation des services (à effectif, activité et localisation constantes) au CHSCT. Un des membres de l’institution avait émis un avis favorable, tandis que les autres avaient refusé de se prononcer au motif que l'on avait pas répondu à leurs questions. Estimant que l’avis du CHSCT, certes négatif, avait mis un terme à la procédure devant cette institution, l’employeur était alors passé à l’étape de la consultation du CE au titre de l’article L. 2323-27 du Code du travail.
Ce dernier, invoquant l’absence de transmission d’un avis régulier du CHSCT, a saisi le tribunal de grande instance statuant en référé d’une demande de suspension de la mise en place du projet de réorganisation jusqu’à ce qu’il soit en mesure de recevoir une information complète et de donner valablement son avis. Il demandait donc tout simplement à ce que l’employeur reprenne la consultation du CHSCT et réponde aux questions posées par l’institution, de façon à ce qu’un avis valable lui soit remis. L’employeur a alors fait valoir, d’une part, que l’avis du comité d’entreprise n’est pas légalement subordonné à l’avis du CHSCT et, d’autre part, que le comité d’entreprise n’est pas en droit d’engager une action au nom du CHSCT. Ce dernier serait seul maître de la décision de contester la consultation qui a eu lieu devant lui. La Cour de cassation a débouté l’employeur.
Interdépendance des procédures consultatives
Selon l’arrêt du 4 juillet, il résulte en effet de l’article L. 2323-27 du Code du travail que, « lorsqu’il est consulté sur les problèmes généraux intéressant les conditions de travail, le comité d’entreprise doit disposer de l’avis du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ». « Il s’ensuit que le comité d’entreprise est recevable à invoquer, dans le cadre de sa propre consultation, l’irrégularité de la procédure de consultation préalable du CHSCT ». Non seulement la consultation du CHSCT doit être un préalable à celle du comité d’entreprise, mais en outre le comité d’entreprise est en droit de contester devant le juge des référés la régularité de la procédure d’information-consultation menée devant lui lorsqu’il ne dispose pas d’un avis régulier préalablement émis par le CHSCT. Le projet sera alors suspendu jusqu’à ce que cette consultation soit régulièrement menée.
Comme prend soin de le relever l’arrêt, il ne s’agit pas pour le comité d’entreprise d’agir au nom et pour le compte du CHSCT. L’arrêt précise en effet que le comité d’entreprise agit « dans le cadre de sa propre consultation ». L’irrégularité commise dans la consultation du CHSCT équivaut donc à une irrégularité commise dans la consultation du comité d’entreprise, de sorte que ce dernier est en droit d’agir en référé pour la faire cesser au même titre que le CHSCT lui-même.
Une ancienne circulaire ministérielle avait déjà indiqué que, lorsque la loi impose la consultation du CHSCT et du comité d’entreprise sur un même sujet, celle du CHSCT doit intervenir en premier (Circ. DRT n° 14, 24 octobre 1983).
La solution posée le 4 juillet ne fait d’ailleurs que conforter sur ce point une pratique déjà suivie par les entreprises. La possibilité pour le comité d’entreprise de se prévaloir d’une irrégularité de la consultation du CHSCT est plus novatrice, bien que déjà assimilée par certains CE.
Dans une affaire tranchée le 10 janvier 2012, la Cour de cassation avait déjà été confrontée au cas d’un C.E faisant valoir que l’avis du CHSCT recueilli au terme d’un simple tour de table, n’était pas régulier. La Haute juridiction s’était néanmoins prononcée uniquement sur l’irrégularité de l’avis du CHSCT, sans se prononcer clairement sur la recevabilité de l’action engagée par le CE (Cass. soc., 10 janvier 2012, n° 10-23.206). C’est désormais chose faite, et les juridictions saisies en référé d’une telle action devront donc vérifier que le CHSCT a bien été mis en mesure de donner son avis.
(1) Cour de cassation, 4 juillet 2012, n° 11-19.678