Jurisprudence sur la
modification des conditions de travail
Plan :
1.
Introduction
2.
Les éléments essentiels du contrat de
travail
3.
Ce qui relève du pouvoir de direction de
l'employeur
4.
Les modifications du contrat de
travail
5.
Le cas particulier du salarié protégé
L'employeur requiert toujours
plus de flexibilité de ses employés, tandis que les salariés sont confrontés à
des conditions de travail changeantes au cours de leur contrat, le plus souvent
pour mieux s'adapter aux besoins de l'entreprise ou à des évolutions dans les
effectifs.
Ainsi, le salarié devra
prendre temporairement le poste d'un collègue absent ou plus souvent se plier à
de nouveaux horaires de travail. De son côté, l'employeur pourra avoir besoin
d'aménager les conditions de travail des employés pour faire face à une commande
exceptionnelle ou à la mise en place de nouveaux outils de travail ?
Comment concilier les
intérêts de chacun ? Où se trouve la frontière entre ce que l'employeur peut
exiger de son personnel, et ce que les salariés sont en droit de refuser ?
Le contrat de travail fixe
le contenu de la relation contractuelle.
Lorsque le salarié accepte
un emploi il s'engage à effectuer un travail, pour le compte d'un employeur,
sous certaines conditions négociées et établies par avance. C'est le contrat de
travail - parfois complété par une convention collective ou un accord collectif
- qui fixe les droits et obligations de chacune des parties.
La jurisprudence définit le
contrat de travail de la manière suivante : il s'agit de "la convention
par laquelle une personne physique s'engage à mettre son activité à la
disposition d'une autre personne, physique ou morale, sous la subordination de
laquelle elle se place, moyennant une rémunération".
Le contrat s'organise autour
de conditions essentielles et déterminantes, qui ne peuvent être modifiées
unilatéralement par l'employeur. Il s'agit de garantir au salarié la pérennité
du contrat conclu (contrat à durée indéterminée, saisonnier, intérim, etc.), le
temps de travail (temps partiel, temps plein), la rémunération, le poste, la
qualification professionnelle, et éventuellement le lieu de travail et les
horaires de travail.
L'entreprise doit s'adapter aux évolutions.
Le fonctionnement d'une
entreprise n'est pas figé. Aussi pour rester compétitive et à l'écoute des
besoins de ses clients, elle doit progresser pour s'adapter aux évolutions
économiques, concurrentielles et technologiques, mais aussi former son
personnel, réorganiser les emplois, etc.
Pour y parvenir, le Code du
travail reconnaît à l'employeur un pouvoir de direction, par lequel il peut
imposer aux salariés certains changements.
Au fil des années, la
jurisprudence a précisé ce qui :
·
d'une part, entre dans le pouvoir de direction de l'employeur et s'impose
au salarié,
·
et d'autre part, ce qui relève des conditions essentielles et
déterminantes du contrat de travail, lesquelles ne peuvent être modifiées
qu'avec l'accord du salarié.
A la clé il s'agit bien
évidemment d'identifier les comportements abusifs, et voici quelques éléments
de réponse.
Les éléments
essentiels du contrat de travail
Si les éléments essentiels
du contrat de travail ne sont pas définis légalement, ils ont été identifiés
par la jurisprudence. Il s'agit de :
·
la rémunération (y compris les frais de remboursement de frais
professionnels),
·
la qualification, le poste et le grade,
·
les responsabilités et les attributions,
·
la durée du travail,
·
le type de contrat de travail,
·
le lieu de travail,
·
l'horaire de travail s'il est prévue contractuellement,
·
et, plus généralement, tout élément du contrat qui pouvait être
déterminant pour le salarié lors de la conclusion du contrat, dès lors que cela
fait l'objet d'une clause claire et précise dans le contrat de travail (ex :
lieu de travail, horaires, pénibilité, liberté d'action et de décision).
La modification d'un de ces
éléments essentiels du contrat de travail ne peut être imposée par l'employeur,
mais seulement proposée au salarié concerné. S'il refuse, il appartient à
l'employeur, soit de renoncer à modifier le contrat, soit de licencier le
salarié, mais dans ce cas, aucune faute ne peut lui être reproché. L'employeur
doit respecter la procédure de licenciement, le préavis et, le cas échéant
verser des indemnités de licenciement.
Pour la Cour de cassation, est sans cause réelle et sérieuse, le licenciement
pour faute grave du salarié ayant refusé la modification de son contrat de
travail proposé par l'employeur.
Par contre, dans le cadre de
son pouvoir de direction, l'employeur peut imposer au salarié un simple
changement des conditions de travail. Le refus du salarié n'entraîne pas, à lui
seul, la rupture du contrat mais constitue une faute professionnelle que
l'employeur peut sanctionner.
C'est ainsi que :
·
la salariée qui refuse d'exécuter les tâches essentielles entrant dans
ses attributions de secrétaire en s'abstenant de répondre au téléphone et en se
coupant ainsi de tout contact avec la clientèle, commet une faute justifiant
son licenciement ;
·
encours un licenciement pour faute grave, le salarié qui refuse de
poursuivre l'exécution de son contrat de travail en raison du simple changement
des conditions de travail décidé par l'employeur dans l'exercice de son pouvoir
de direction ;
·
mais le refus par une salariée d'un changement de ses conditions de
travail, s'il rend son licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, ne
constitue pas à lui seul une faute grave privant le salarié des indemnités de
licenciement.
A noter enfin que la mise en
œuvre d'une clause prévue au contrat de travail (ex : clause de mobilité) ne
constitue pas une modification du contrat de travail soumise à l'accord du
salarié si son application n'est pas abusive. Pour cela, elle doit être décidée
dans l'intérêt de l'entreprise et réalisée après un délai de prévenance raisonnable.
De plus, l'employeur doit tenir compte des "accidents de la vie"
rencontrés par ses salariés (divorce, décès du conjoint, hospitalisation d'un
proche, nouveau travail du conjoint après une longue période de chômage, etc.),
avant d'imposer un changement de lieu travail, même si la clause de mobilité
est prévue au contrat de travail. L'atteinte portée à la vie personnelle et
familiale doit être justifiée par la tâche à accomplir et proportionnée au but
recherché.
S'agissant de l'affectation
occasionnelle d'un salarié, en dehors du secteur géographique où il travaille
habituellement ou des limites prévues par une clause contractuelle de mobilité
géographique, elle est possible là aussi sans l'accord du salarié, à condition
que cumulativement :
·
l'affectation soit motivée par l'intérêt de l'entreprise,
·
qu'elle soit justifiée par des circonstances exceptionnelles,
·
que le salarié soit informé préalablement dans un délai raisonnable du
caractère temporaire de l'affectation et de sa durée prévisible.
Ce qui relève du
pouvoir de direction de l'employeur
L'employeur est en droit,
dans le cadre de son pouvoir de direction :
·
de procéder à la réorganisation des tâches et des responsabilités
confiées à un salarié, dès lors qu'elles sont conformes à sa qualification et
que restent inchangées sa classification et sa rémunération ;
·
de fixer et modifier les objectifs des salariés, sans porter atteinte au
contrat de travail, dès lors que le niveau de rémunération variable qui en
dépend est maintenu ;
·
d'instaurer une nouvelle répartition du travail sur la journée (y compris
le samedi), sauf atteinte excessive au droit du salarié au respect de sa vie
personnelle et familiale ou à son droit au repos.
Les
modifications du contrat de travail
Qui peuvent être imposées au
salarié
·
une nouvelle affectation sans modification de la qualification, des
responsabilités, et du salaire ;
·
un changement d'horaire sur la journée ;
·
un changement d'horaire sur la semaine dès lors qu'il ne présente pas un
caractère discriminatoire, et qu'il résulte des nécessités d'organisation de
l'entreprise et répond à un motif légitime ;
·
un changement de lieu de travail dans un même secteur géographique
justifié dans l'intérêt de l'entreprise.
Qui nécessitent l'accord
préalable du salarié
Tout changement ayant une
incidence sur des éléments essentiels du contrat de travail (le salaire, le
temps de travail, les responsabilités, le lieu de travail sous conditions,
etc.) ou ayant des conséquences incompatibles avec les impératifs de sa vie familiale
et privée du salarié, peut être refusé par le salarié, comme :
·
le changement de poste qui engendre plus de pénibilité et la perte de
primes ;
·
le passage d'un horaire continu de travail à un horaire discontinu ;
·
la réorganisation des tâches et des responsabilités qui conduit à la
perte de responsabilité pour le salarié ;
·
une augmentation des objectifs à réaliser, susceptible d'avoir une
répercussion sur la part variable de la rémunération ;
·
le changement de la répartition de l'horaire de travail imposant au
salarié de travailler deux dimanches sur trois, et non plus un dimanche sur
trois ;
·
l'accroissement de l'amplitude de l'horaire de nuit ;
·
le passage, même partiel, d'un horaire de jour à un horaire de nuit, sachant
que tout travail entre 21 heures et 6 heures est considéré comme travail de
nuit ;
·
une nouvelle répartition de l'horaire de travail ayant pour effet de
priver le salarié du repos dominical ;
·
le changement de lieu de travail lorsqu'il porte atteinte à la vie
personnelle et familiale du salarié
·
la modification des conditions de remboursement des frais professionnels
(frais de véhicule personnel et kilométrique) prévus par le contrat de travail
;
·
de nouvelles fonctions qui entraînent une réduction des responsabilités
du salarié tout en laissant celui-ci dans l'incertitude sur son avenir
professionnel au sein de l'entreprise.
Le cas particulier du
salarié protégé
La Cour de cassation a
estimé qu'aucun changement des conditions de travail ne pouvait être imposé à
un salarié protégé.
Sous le visa des articles 1184 du Code civil et L1231-1, L2411-5 et L2421-3 du Code du travail, la Cour de cassation estime :
·
qu'aucune modification de son contrat de travail ou changement de ses
conditions de travail ne peut être imposé à un salarié protégé, peu important
que cette modification ait été prévue dans la convention collective ou le
contrat de travail,
·
que l'acceptation par un salarié protégé d'une modification du contrat de
travail ou d'un changement des conditions de travail ne peut résulter ni de
l'absence de protestation de celui-ci, ni de la poursuite par l'intéressé de
son travail.
Si ce dernier refuse un tel
changement, l'employeur doit poursuivre le contrat de travail aux conditions
antérieures ou engager la procédure de licenciement en saisissant l'autorité
administrative d'une demande d'autorisation de licenciement.
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Publications
de l'année 2011
· Modifier l'horaire de travail le samedi fait partie du pouvoir de direction de l'employeur
(actualité du 29/11/2011)
· Limite au pouvoir de direction de l'employeur vis à vis d'un salarié protégé
(brève du web du 29/11/2011)
(actualité du 28/11/2011)
·
Indemnisation
pour frais d'utilisation du véhicule personnel pour le travail
(brève du web du 18/11/2011)
·
Le
changement de poste ne doit pas engendrer plus de pénibilité et la perte des primes
(actualité du 17/11/2011)
·
Le
refus injustifié d'un changement de poste justifie le licenciement
(brève du web du 17/11/2011)
·
L'instauration
d'une nouvelle répartition du travail sur la journée relève du pouvoir de
direction de l'employeur
(actualité du 16/11/2011)
·
Le
passage d'un horaire continu à un horaire discontinu est abusif sans l'accord
du salarié
(actualité du 16/11/2011)
·
Licenciement
pour refus d'exécuter une mission prévue au contrat de travail
(actualité du 25/10/2011)
·
La
clause de mobilité ne fait pas échec au droit du salarié de s'opposer à une
mutation incompatible avec sa vie familiale
(brève du web du 27/04/2011)
·
La
réorganisation des tâches et des responsabilités qui conduit à la perte de
responsabilité pour le salarié s'analyse en une rétrogradation
(jurisprudence du 21/04/2011)
·
Le
salarié peut refuser la nouvelle répartition de l'horaire de travail ayant pour
effet de le priver du repos dominical
(actualité du 15/03/2011)